Elias se souvenait du moindre détail. L'air fantomatique dans lequel il retrouvait les corps, les parfums uniques que dégageait la chair, les expressions figées des visages, parfois terrifiés, parfois apaisés... Personne n'était de meilleure compagnie que les gens dont il s'occupait. Ces êtres étaient pour lui encore pleins de vie... de par les histoires qu'ils racontaient dans leur silence. Chaque contusion, chaque cicatrice lui évoquait l'amertume d'un persécuté, chaque ride lui contait l'histoire de jours heureux, chaque difformité nourrissait son imagination et sa curiosité. Leur mésaventure finale était grossièrement gravée sur leur corps, et c'était à lui de la comprendre, et de la faire disparaître... pour rendre à leur famille un souvenir intact de l'être qu'elle avait aimé, et leur permettre faire abstraction de cette incident fatal... Malgré son penchant pour le monde des morts, Elias n'était pas un homme particulièrement étrange. Il vivait de sa profession comme tout homme de son âge, se cultivait, se déplaçait régulièrement aux évènements mondains et faisait bonne impression en société. Et malgré ces infinies possibilités avec les vivants, il conservait une obsession irrépressible pour cette frontière qui le séparait de l'au-delà, une frontière si fine mais si acérée, si impénétrable et encore entièrement inconnue, à tel point qu'elle en était presque devenue une faiblesse.